Devons-nous anticiper un affrontement entre l’homo sapiens et la machine, ou relever le défi de notre hybridation avec cette nouvelle intelligence, dite artificielle dont la particularité est d’imiter notre cerveau ? Les interfaces cerveau-machine permettent à un homme paralysé de marcher ou de transmettre ses pensées. Demain, l’IA fera partie intégrante de nous-mêmes. C’est en tous cas l’analyse du psychiatre Raphael Gaillard qui prédit, dans son ouvrage « L’homme augmenté, futurs de nos cerveaux » édité chez Grasset, une hybridation de notre cerveau. Nous pourrions ainsi augmenter nos capacités cognitives, de manière naturelle, chimique, technique ou technologique.
Usage médicamenteux
Il est aujourd’hui possible de bloquer nos émotions négatives ou réduire notre anxiété en utilisant un bêta-bloquant comme le propranolol. Ce type de molécule est couramment utilisé en cardiologie pour ralentir le rythme cardiaque en bloquant les récepteurs bêta à la noradrénaline. Les corticoïdes et autres molécules comme le modafinil ont le pouvoir d’augmenter les performances cognitives. A titre d’exemple, 33% des étudiants de médecine en France ont utilisé des traitements pour augmenter leurs capacités cérébrales. Nous pourrions également augmenter la créativité de l’intelligence humaine via les psychédéliques.
Cependant, avant d’ouvrir son armoire à pharmacie, une petite précision s’impose : si cette hybridation demeure probable voir nécessaire selon l’auteur, elle n’est pas sans risque : surchauffe de notre encéphale, déséquilibre psychique, augmentation de la fréquence des troubles mentaux…
Stimulation électrique directe
Différentes pistes sont suivies pour augmenter notre mémoire. Comme le font Robert Zatorre et son équipe, qui, par une stimulation du sulcus intrapariétal gauche, une région située un peu en arrière de l’oreille gauche, réussi à améliorer la mémoire des patients. Cette même technique de stimulation magnétique transcrânienne appliquée sur le cortex préfrontal, la zone située en avant du cerveau, augmente globalement les capacités de la mémoire de travail (Hosseinian et co, 2021[i]). Enfin, la stimulation électrique directe peut augmenter les capacités de concentration notamment dans le cadre du traitement du trouble d’hyperactivité avec déficit attentionnel (TDAH).
Aux Etats-Unis, le grand public a déjà accès à de nombreux appareils de neuro feedback, pour optimiser la puissance mentale et la concentration afin d’être plus productif et de mieux réfléchir. (Voir The Crown de la société Neurosity).
Nous nous prenons alors à rêver de pouvoir acquérir une nouvelle compétence via un transfert d’une clef USB que l’on viendrait brancher sur notre tout nouvel implant cérébral. A la manière de Neo (vous savez, le héros joué par Keanu Reeves) dans le film Matrix qui apprend les Arts Martiaux à la suite d’une mise à jour cérébrale. Comment ? Tout simplement via l’implant posé à l’arrière de sa boite crânienne. Nous pourrions ainsi faire l’acquisition d’un nouveau langage, cuisiner comme un grand chef ou réciter par cœur les classiques de la littérature française sans aucun effort intellectuel. Cependant, loin des promesses originales de sociétés comme Neuralink d’Elon Musk, la réalité pourrait être plus nuancée. Pour Henning Beck, biochimiste, il n’est en effet pas possible de cibler et extraire une pensée, implanter une puce cérébrale pour catalyser l’intelligence, la créativité, ou certains états mentaux. Cela s’apparente plus à de la fiction que de la science, en tout cas de notre vivant[1]. L’expert en interface cerveau-machine Miguel Nicolelis est également très critique car « le cerveau n’est pas un ordinateur, vous n’apprendrez jamais le français en branchant une prise dans le cerveau pour y télécharger la grammaire française ». Le Becherel n’a donc pas dit son dernier mot et The Matrix restera encore pour quelque temps dans le registre de la science-fiction.
Vers une militarisation du cerveau
Les bénéfices de la stimulation électrique directe ne se limitent pas à certaines pathologies médicales. La même technique, dont il faut préciser qu’elle ne nécessite pas davantage qu’une pile de 9 volts et pour laquelle un équipement de qualité ne coûte pas plus de 5 000 euros, fait rêver les militaires[ii]. Parmi les évolutions possibles, l’OTAN, qui s’intéresse au futur de la biotechnologie cognitive. L’Organisation du Traité pour l’Atlantique Nord, qui n’est semble-t-il pas encore mort cérébralement, mentionne des applications de ces technologies qui pourraient aboutir au contrôle mental d’aéronefs, de drones ou de missiles guidés par la pensée, ou à la mécanisation de soldats via des exosquelettes et des capteurs avancés[iii].
Les progrès actuels dans le domaine des interfaces cerveaux-machines, de la technologie ainsi qu’une meilleure connaissance des effets de certaines molécules chimiques sur notre cerveau sont porteurs d’espoir pour nombre de personnes handicapées ou malades. Et en matière de cyberdéfense, l’hybridation de l’homme par la chimie, la technique, ou la technologie pourrait-être envisagée prochainement, sur des périodes relativement courtes, et sous surveillance médicale adaptée.
Notre avenir est une course entre la puissance croissante de notre technologie et la sagesse avec laquelle nous l’utiliserons disait Stephen Hawking. A nous de retrouver la sagesse dans un monde en pleine hybridation cybernétique.
Pour aller plus loin :
– Hybridation du cerveau et cybersécurité – Quel impact sur nos fonctions cognitives ?
[1] Arte, Quels sont les pouvoirs de la pensée ?, Arte.tv,2022, https://www.arte.tv/fr/videos/104841-004-A/quels-sont-les-pouvoirs-de-la-pensee/.
[i] Hosseinian et co (2021), External induction and stabilization of brain oscillations in the human, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1935861X21000620
[ii] Davis S.E., Smith G.A., « Transcranial Direct Current Stimulation use in Warfighting », 2019.
[iii] NATO (2021), L’OTAN et la biotechnologie cognitive : questions et perspectives, https://www.nato.int/docu/review/fr/articles/2021/02/26/lotan-et-la-biotechnologie-cognitive-questions-et-perspectives/