Salut et bienvenue dans notre nouvel épisode de la Tech à l’Envers, le média technocritique qui s’intéresse à l’envers de la Tech pour en développer un usage responsable et respectueux de notre vie privée
Je m’appelle Clément Donzel et suis expert en cybersécurité et défenseur de notre vie privée numérique.
Aujourd’hui, je vous propose de partir à la découverte du mouvement de la contre-culture dans la Silicon Valley et le rôle qu’il a eu dans l’histoire d’Internet. Dans son ouvrage Aux sources de l’utopie numérique, le journaliste et professeur à Stanford Fred Turner retrace un passé méconnu de la vallée du silicium à travers les aventures d’un certain Stewart Brand. On en parle tout de suite.
Les mouvements de la contre-culture américaine
Nous sommes au début des années 1960 aux États-Unis. En pleine période de guerre froide. Le secteur de la technologie est alors perçu par une partie de la jeunesse comme un levier pour assoir une puissance politique et militaire. C’est dans ce contexte qu’émerge deux mouvements contre-culturels nous dit Turner :
- La Nouvelle Gauche qui milite pour les droits civiques et contre l’engagement militaire des États-Unis dans la guerre du Vietnam
- Les communalistes qui pensent que la politique est le problème et qui dans un désir de changer le monde ambitionne de construire des communautés pour fonder une nouvelle société plus égalitaire, moins réglementée (les fameux hippies)
Ces mouvements protestataires, engagés et militants imaginent alors un monde de conscience partagée (via notamment la consommation à haute dose de LSD) ou nous n’aurions plus besoin de bureaucratie ni de gouvernement pour règlementer nos vies.
On a pu compter jusqu’à 750 000 participants à ces mouvements de contre-culture en Amérique, dont des personnalités très influentes, comme un certain Stewart Brand.
Qui est Stewart Brand ?
Fred Turner nous parle de Stewart Brand comme un entrepreneur, un passeur de culture et un homme de réseau. Il est à l’origine de l’un des ouvrages les plus emblématique de la contre-culture américaine, le Whole Earth Catalog. Ce journal papier visait à donner aux communautés les compétences scientifiques, techniques, d’ingénierie et les outils nécessaires pour les assister dans leur projet utopique de réinventer la civilisation. À la fois réseau d’idées et de technologies, le catalogue référençait des vendeurs de produits recommandés par communalistes les ainsi qu’une cartographie des réseaux sociaux. Véritable Google avant l’heure, le catalogue proposait une vision partagée de la société contre-culturelle.
Je vous propose d’écouter Stewart Brand lors d’une interview réalisée par France Culture en 2021 :
[EXTRAIT STUART BRAND]
Stewart Brand a ainsi créé un pont entre la contre-culture et le monde technologique. Son talent était de réussir à réunir des gens appartenant à des mondes différents, issues de la contre-culture, des chercheurs et des ingénieurs de la Tech.
Du LSD à l’idéologie d’un Internet commun
Mais dans les années 1980, le constat est amer. Brand et d’autres personnalités influentes doivent se rendre à l’évidence face à l’effondrement de la majorité des communautés hippies. Le projet contre-culturel a échoué à changer l’Amérique et à proposer une société alternative crédible. Brand fait alors ce qu’il a toujours fait, il réunit lors de conférences les communautés qui n’avaient à priori pas de raison de se rencontrer: d’anciens hippies et contre-culturalistes encore auréolés de l’influence du réseau Whole Earth, des ingénieurs comme Steve Wozniak, des hackers autres amateurs passionnés d’informatique.
C’est alors que Brand et ses amis, peut-être plus par opportunisme que par conviction ont émis l’hypothèse que ce n’était pas forcement le LSD ou l’acide qui aiderait à libérer les consciences, mais plutôt l’ordinateur. Individuel. Et c’est là que l’idéologie de l’Internet commun, l’espace utopique est née selon Fred Turner. On assiste ainsi à ce que les sociologues appellent un échange de légitimité, entre deux communautés qui ont chacune leur propre légitimité et qui en se mettant ensemble, échangent leurs légitimé. Les scientifiques travaillant sur les ordinateurs bénéficient ainsi d’une image cool, les hackers deviennent branchés, et les hippes peuvent bénéficier des emplois et de l’argent du secteur de la technologie. La même année, Apple annonce le Macintosh en lancent sa célèbre publicité réalisée par Ridley Scott comme pour s’associer au mouvement contre-culture face au grand méchant IBM.
Point commun entre contre-culture et nouvelle droite
Et ou en somme nous aujourd’hui ? La nouvelle droite dure libertarienne, incarnée par Elon Musk ou encore Peter Thiel, milite pour une société de radicalisation individualiste. Bien que dévoyant l’utopie d’Internet dès débuts, ces libertariens offrent certains points de convergence avec l’idéologie de la contre-culture : une société en dehors des règles sur une conscience partagée soutenue par une technologie antiétatique et par le business. Un peu à l’image de X/Twitter qui propose un système ouvert d’échange d’information, retiré de toute contrainte et modération. Mais à la manière des communautés hippies ou chacun avait la parole, sans institution ni reconnaissance des inégalités, les individus charismatiques se saisissent du pouvoir, ouvrant une porte vers l’autoritarisme.
Pourtant, nous alerte Fred Turner, la démocratie ne réside pas à sa capacité de crier son point de vue, mais plutôt de négocier des accords, de partager des ressources, entre personnes qui ne sont pas fondamentalement d’accord. Et c’est justement le rôle de l’État de règlementer, au nom des individus et des groupes qui ne sont pas représentés par les entreprises qui éditent ces plateformes.
C’est tout pour aujourd’hui.
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Merci pour votre écoute et à la semaine prochaine pour un nouvel épisode de la Tech à l’Envers.
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